Posséder une ou plusieurs propriétés dans Paris n’est plus un luxe réservé aux étrangers. Les Français jouent à leur tour les collectionneurs.
Par Mélanie Delattre, Christophe Labbé et Bruno Monier-Vinard – Publié le 4 juillet 2016 à 06h38
Posséder une ou plusieurs propriétés dans Paris n’est plus un luxe réservé aux étrangers. Les Français jouent à leur tour les collectionneurs.
Par Mélanie Delattre, Christophe Labbé et Bruno Monier-Vinard – Publié le 4 juillet 2016 à 06h38
« L’hôtel de l’Artillerie va faire l’objet d’une cession de gré à gré à la fondation des Sciences politiques. Il n’y aura donc pas d’appel d’offres. » Le mail de France Domaine Paris, arrivé mi-juin dans la boîte aux lettres de plusieurs candidats à la reprise de ce joyau de l’État, a fait des déçus. À commencer par le milliardaire Bernard Arnault, qui avait récemment envoyé ses équipes visiter la propriété du ministère de la Défense, 14 000 m2 situés en plein cœur du 7e arrondissement, place Saint-Thomas-d’Aquin. Officiellement, il s’agissait d’y installer un espace consacré aux métiers de l’artisanat chers à son groupe. Mais en investisseur avisé, nul doute que le fondateur de LVMH salivait déjà à l’idée de l’incroyable plus-value immobilière qu’il pourrait tirer un jour de la revente de ce bien hors du commun.
La main plus heureuse
L’homme d’affaires parisien Pierre Reynaud s’était lui aussi penché sur ce dossier à plus de 100 millions d’euros pour le compte d’un consortium d’investisseurs. Spécialiste de l’achat-vente de biens immobiliers haut de gamme, le marchand de biens établi dans le 16e arrondissement a finalement eu la main plus heureuse dans une autre opération. Il vient d’acquérir pour près de 6 millions d’euros le 3, rue du Sabot : un hôtel particulier de 520 m2 agrémenté d’un toit-terrasse, niché dans une ruelle de Saint-Germain-des-Prés, qui abrite actuellement un restaurant-bar à whisky doublé d’un Gentlemen’s Club. Plus loin de ses bases, ce multipropriétaire a décroché aux enchères un chalet megevois de taille XXL. Avec ses deux habitations reliées par un souterrain, ses deux piscines et ses onze chambres, le chalet Nanouk est tombé dans son escarcelle à la suite d’une vente aux enchères pour 5,5 millions d’euros. « Une très bonne affaire, même s’il faut y ajouter les frais de notaire et des travaux pour environ un million d’euros », commente l’acquéreur.
Retour des « nationaux »
Après une période de désaffection du marché de l’immobilier de luxe, la tendance est à nouveau à la ruée vers la pierre. Un apanage qui n’est plus réservé aux fortunes étrangères venues du Golfe, de Russie ou de Chine. « Fait nouveau, sept de nos dix dernières transactions immobilières dépassant 10 millions d’euros ont été opérées par des Français, résidents fiscaux ou non, constate Charles-Marie Jottras, président du Groupe Daniel Féau-Belles demeures de France. En 2012, au cours des six mois précédant l’élection, de nombreux propriétaires parisiens ont cédé leurs résidences, ce qui a créé un stock important. Aujourd’hui, on observe le phénomène contraire : une nouvelle clientèle d’acquéreurs rentre de l’étranger, notamment d’Angleterre », souligne le leader de l’immobilier de prestige à Paris, presque surpris de voir les « nationaux » réinvestir une capitale qu’ils avaient pour beaucoup désertée. Et de citer l’exemple de ces deux hôtels particuliers vendus au cours des derniers mois à des Frenchies expatriés à Londres, l’un pour 14 millions d’euros dans le 6e arrondissement, l’autre pour 25 millions d’euros dans le 7e arrondissement.
Les tycoons locaux ne sont pas en reste. Bien que soumis à une fiscalité lourde, ces hommes d’affaires résidant en France voient en la pierre un refuge. De plus en plus méfiants à l’égard des marchés financiers, ils se tournent vers des actifs tangibles, et savent saisir les opportunités liées à la baisse des prix et des taux d’intérêt d’emprunt. « Cette clientèle n’est pas dans une optique de spéculation. Le prix n’est pas le critère d’achat numéro un. C’est la volonté d’avoir une adresse prestigieuse et la vue sur un monument iconique de la capitale qui déclenche l’achat », assure Thibaut de Saint-Vincent, président du groupe Barnes.
Monopoly pour riches collectionneurs
Plusieurs biens emblématiques ont ainsi été enlevés par des « familles » françaises. C’est le cas de ce duplex avec toit-terrasse et piscine caché au fond du « 140, rue de Grenelle », une résidence sécurisée avec un immense parking en sous-sol, très recherchée car située en plein cœur de la capitale. Le nom des Descours, propriétaires – entre autres – de la marque Weston, a circulé, mais il semble qu’ils se soient fait doubler par d’autres Français ! On ne connaît pas non plus l’identité du repreneur du très atypique hôtel particulier de la rue Monsieur, 800 m2 destinés au futur Louis XVIII, vendu en 2015 par l’agence Philippe Menager & Nicolas Hug pour plus de 20 millions d’euros, discrétion oblige. En revanche, celui de Xavier Niel, acheteur du monumental Hôtel Coulanges – 1 500 m2 habitables avec cour d’honneur donnant sur la place des Vosges, a fuité dans la presse. Pour mettre la main sur ce palais construit en 1607 qui vit naître la marquise de Sévigné, le fondateur de Free aurait déboursé 31 millions d’euros.
Quels projets le serial entrepreneur a-t-il pour « la Marquise », surnom donné au bâtiment qui fut squatté dans les années 90 par le Collectif Jeudi noir ? Seule certitude : même si le bien est déjà divisé en quatorze appartements, il ne peut pas le vendre à la découpe. La famille de Béatrice Cottin, à qui appartenait la propriété jusqu’à son décès en 2015, a en effet exigé de l’acheteur qu’il garde le bien « dans l’esprit hôtel particulier » pendant au moins 15 ans et crée sur site un « espace Béatrice Cottin » ouvert au public. Avec cette impressionnante acquisition, Xavier Niel devient un joueur de taille dans le Monopoly qui voit s’affronter les « collectionneurs » de biens d’exception. Une petite confrérie qui compte parmi ses membres Vincent Bolloré, détenteur de plusieurs propriétés dans la Villa Montmorency – voie privée ultra chic du 16e arrondissement –, ou encore François Pinault.
Synonyme de pérennité
Comme l’a récemment révélé le magazine Challenges, le fondateur du groupe PPR (aujourd’hui Kering), déjà propriétaire de deux splendides hôtels particuliers sur la Rive gauche, poursuit ses emplettes : il a racheté fin 2014 le très bel hôtel de Clermont Tonnerre, situé rue du Bac dans le 7e arrondissement, pour 52 millions d’euros. « En additionnant les propriétés, les super-riches ne se contentent pas de placer leur argent d’une façon qu’ils estiment sécure. Ils s’offrent aussi des écrins de choix, dotés de vastes hauteurs sous plafond, afin d’y exposer leur collection d’art, dont la valeur est souvent supérieure à celle du bien dans laquelle elle est logée. Des petits musées privés en quelque sorte », décrypte Nicolas Pettex-Muffat, directeur général de Féau Immobilier.
Pour les observateurs avisés, cette course aux hôtels particuliers ne devrait pas s’arrêter de sitôt. Car les incertitudes géopolitiques, doublées d’un Brexit qui affole les grandes fortunes installées outre-Manche, plaident en faveur d’un retour durable des Français sur leur marché national. « Le parc immobilier parisien étant figé, il est synonyme de pérennité. Contrairement à Londres ou New York, où de nouvelles tours poussent tous les ans, acquérir un hôtel particulier sur le Champ-de-Mars garantit une vue inaliénable sur la tour Eiffel », rappelle Roger Abecassis, président du groupe Consultants Immobilier.
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